Aux juges du Conseil constitutionnel – Par Boubacar Sadio, Commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle à la retraite

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« Pour un juge, il n’y a pire que de trahir son serment pour jouir de privilèges indus, préférant, ainsi, les honneurs à l’honneur. »

Messieurs les juges, vous êtes d’éminents membres de l’illustre instance judiciaire qu’est le Conseil Constitutionnel. Et pour marquer la dignité de vos fonctions, on vous a attribué le titre honorable de « sages ». Un tel qualificatif n’est consacré par aucun texte officiel; c’est la société considérée en masse qui, sur la base d’une présomption d’honnêteté, de sincérité, de loyauté, de droiture et de justice vous l’a conféré. Dès lors, n’est-il pas tout à fait légitime, compte tenu du parcours cabossé, bancal et peu élogieux de votre institution, que cette distinction honorifique soit remise en cause. En effet, le Conseil Constitutionnel du Sénégal s’est plusieurs fois illustré négativement par des décisions toujours discutables, contestables et sujettes à caution parce que, tout simplement, ne correspondant pas à la vérité, et le plus souvent contraires à la logique la plus élémentaire et au bon sens commun.

Le Conseil Constitutionnel a, de tout temps, émis des avis ou des décisions, c’est selon, toujours favorables aux tenants du pouvoir et surtout au Président de la république. Et, quelquefois, pour se dérober, faisant montre d’un ponce-pilatisme de circonstance et de mauvais aloi, il se déclare incompétent, une manière très habile et peu courageuse de laisser les choses en l’état au profit de l’exécutif. Il est clair et bien évident que, compte tenu d’un tel vécu et d’une telle tradition, je me garderai de vous considérer comme de véritables sages.

Messieurs les juges, comme vous le savez, le débat public qui anime nos chaumières, nos hameaux, nos villages et villes, porte sur l’élection présidentielle du 25 février 2024 où votre instance aura à jouer un rôle prépondérant, crucial voire vital pour le pays dont les populations n’aspirent qu’à vivre dans la paix, la cohésion sociale et l’unité nationale. Des aspirations légitimes auxquelles tout citoyen doit consacrer ses efforts. Il vous échoit le redoutable honneur de désigner les candidats qui doivent solliciter les suffrages des Sénégalais parmi lesquels sera élu le futur Président de la République. Il ne saurait être question de personnaliser le débat mais, tout juste, d’être factuel et de rappeler certains principes par rapport aux attentes des Sénégalais.

Messieurs les juges, il n’est point besoin de rappeler certains faits et particulièrement cette séquence vaudevillesque qui, pendant presque trois ans, a tenu en haleine tout un peuple; les conversations, discussions et les débats tournant autour de ce fait divers devenu affaire d’État et qui, finalement, s’est révélé un véritable canular. Un fait divers qui a pourtant provoqué des dizaines de morts sans qu’aucun coupable n’ait pu être désigné. Vous êtes témoins de l’acharnement et de la persécution exercés sur un citoyen dont le seul tort est d’avoir décliné ses ambitions pour présider aux destinées de son pays. Il aura subi toutes les formes d’abus, d’arbitraires et d’injustices qui, bousculant nos certitudes, ont mis à rude épreuve le sens de la justice, la valeur de la loi et l’utilité du droit.

Messieurs les juges, s’il y a un constat à faire, c’est de reconnaitre que de l’État, il ne reste plus que les attributs extérieurs et les signes apparents. Mais ce qui en constitue la substance, s’est totalement affaissé; il s’agit de l’état de droit qui consacre la primauté du droit sur le pouvoir politique. L’état de droit soumet tout le monde au respect et à l’obéissance de la loi qui a un caractère impersonnel et général; y sont soumis les gouvernés tout comme les gouvernants. Toute personne morale ou physique doit se conformer scrupuleusement à toute décision de justice sous peine de sanctions. Malheureusement, et vous en êtes témoins, l’administration publique, par deux fois, a obstinément et systématiquement refusé d’exécuter les ordonnances des juges des tribunaux de Ziguinchor et de Dakar.

En fait, cette situation à la fois pitoyable et rocambolesque donne l’image d’un État qui se bat contre lui-même. L’arrogance et le mépris des fonctionnaires de l’administration à l’égard des juges pourraient amener certains, déçus et effarouchés par tant d’audace et de désinvolture, à qualifier notre pays d’État voyou. De tels vilains comportements, à la limite de la provocation délibérée, inadmissibles et intolérables, relèvent de ce que l’on pourrait qualifier de mépris de la loi, de forfaiture judiciaire, de déni du droit, de délinquance administrative, de banditisme d’État et de je m’en- foutisme total.

Messieurs les juges, sous peu, vous serez appelés à examiner la validité des différents dossiers de candidature. Ce sera un moment crucial, vital et très déterminant voire historique dans la vie de notre nation, et plus précisément, dans le processus démocratique de notre pays qui a, aujourd’hui, l’occasion inespérée, avec la non-participation du Président sortant, de se choisir un Président de la République dans le cadre d’une élection que nous voulons tous, transparente, libre, démocratique et inclusive. L’inclusivité dépendra exclusivement de vos décisions, de votre souci de permettre à vos compatriotes de choisir librement, dans un large spectre de candidats, celui qui aura le grand honneur et le très redoutable privilège de présider aux destinées de notre cher Sénégal.

Messieurs les juges, aujourd’hui, vous bénéficiez de beaucoup d’avantages, de multiples privilèges et de moult faveurs de la part de Monsieur le Président de la République; on pourrait citer entre autres, des villas cossues, des voitures rutilantes, des salaires mirobolants, une garde rapprochée, des bourses d’études pour vos enfants, une prolongation de l’âge de la retraite, une prise en charge sanitaire totale, etc…Et je vous sais suffisamment intelligents et lucides pour comprendre que l’auteur de tous ces bienfaits attend logiquement un retour d’ascenseur qu’il vous sera difficile de refuser. Quand on jouit de tant de privilèges, cela vous met dans une situation d’obéissance aux ordres et desiderata de votre bienfaiteur. Albert Reichstein disait, « L’obéissance aveugle en l’autorité est le pire ennemi de la vérité. » L’alternative qui s’impose à vous n’est ni un dilemme ni un choix cornélien à faire. Il s’agit tout simplement, pour vous, de choisir entre les faveurs terrestres, éphémères, inconsistantes et précaires de son Excellence Macky Sall et celles éternelles et bénies d’Allah Le Tout-Puissant dont les décrets ne sont susceptibles d’aucun recours.

Messieurs les juges, chaque fois que vous vous isolerez dans la solitude et la quiétude de vos bureaux ou de vos chambres, chaque fois que vous vous prosternerez lors de vos cinq prières quotidiennes pour affirmer votre soumission totale à Allah et lors de vos promenades matinales, vespérales ou nocturnes les bras croisés derrière le dos, égrenant votre chapelet, ne perdez jamais de vue et ayez toujours à l’esprit les conséquences fâcheuses, douloureuses, dramatiques, tragiques et meurtrières que pourraient entrainer vos actes. Vos responsabilités individuelles et collectives seront engagées et vous aurez sur la conscience d’y avoir été pour quelque chose.

Messieurs les juges, en vous présentant d’avance mes excuses pour mon impudence à verser dans un registre peu réjouissant, mais de vérité, sachez que viendra inéluctablement un jour ou votre âme, par la volonté d’Allah, désertera votre corps pour rejoindre les cieux et attendre le grand Fracas. Votre corps inerte resté ici-bas, sera enveloppé d’un linceul blanc immaculé pour être conduit dans votre dernière demeure, votre sépulture, un endroit d’une obscurité abyssale; je ne saurais trop vous recommander de trop souvent réciter la soutate 67 « Al Mulk » qui protège du châtiment de la tombe. Vous y répondrez seul de vos actes. Le Président de la République a la prérogative constitutionnelle de nommer aux emplois civils et militaires, et peut par décret prolonger vos carrières; mais jamais il ne pourra allonger d’une seule seconde votre présence ici-bas quand arrivera le terme fixé par le Seul Détenteur de pouvoir, le Véritable Juge qui jugera tous les juges de tous les ordres.

Messieurs les juges, l’avenir de notre pays ainsi que le sort de notre peuple dépendent des décisions que vous aurez à prendre. Puisse la voix de la sagesse vous indiquer la voie de la sagesse.

 

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