[Statut spécial de Touba 2/3] Touba et la politique : des rapports tumultueux

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Si Touba n’a pas, dans les textes, un statut spécial, la ville a quand même ses spécificités. De la liste unique durant les élections locales au bannissement des activités politiques dans la ville sainte par le Khalife, Serigne Mountakha Mbacké, les rapports entre Touba et la politique ne sont pas toujours lisses.

Touba a été fondée en 1887 par Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul. Avec ses disciples, il a construit l’une des plus grandes villes religieuses du pays. Ces dernières années, la cité religieuse a connu une nette expansion. Son poids électoral est donc non négligeable en plus de la dimension affective avec la confrérie mouride. C’est l’une des explications du défilé des hommes politiques dans la ville notamment à chaque veille d’échéances électorales. Si durant les élections présidentielle et législatives, les politiques dictent leur loi, aux élections locales, le Khalife de Touba montre toute son autorité. La seule liste qui part en compétition est celle de l’autorité religieuse. En termes clairs, le Khalife désigne lui-même le maire de la ville.

Aux origines de la liste unique

Cette pratique date de 1976 soit quatre années après l’entrée en vigueur de la décentralisation avec la mise en place des Collectivités territoriales. Alors Khalife de Serigne Touba, Serigne Abdou Ahad Mbacke avait accepté que Touba Mosquée soit une collectivité à condition de n’avoir qu’une seule liste, la politique étant interdite dans la ville sainte. En plus, la personne qui sera à la tête est choisie par le Khalife lui-même ou la personne déléguée à cette tâche.

La parité bannit à Touba

Cet accord tacite, unique en son genre, s’accommode aux lois de la République. Chose qui n’est pas près de changer. En atteste l’application de la loi sur la parité. En 2010, le Sénégal promulgue la loi n° 2010-11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue Homme-Femme. Mais à Touba, au nom de la religion, les femmes n’ont pas voix au chapitre quand il s’agit d’occuper un poste de responsabilité. « Il y a des championnes à Touba. Des femmes qui s’engagent dans le cadre de la participation politique mais elles sont confrontées au patriarcat » témoigne la directrice exécutive de JGEN, une association qui milite pour le respect des droits de la femme, Maïmouna Astou Yade. Selon elle, c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités afin de faire respecter les lois mises en place sur tout le territoire.

 
De son côté, l’Association des femmes juristes du Sénégal (AJS) avait accompagné des femmes élues conseillères municipales pour faire respecter la loi sur la parité dans certaines communes et villes, au lendemain de l’installation des nouvelles équipes municipales après les élections locales du 23 janvier 2022. La ville de Dakar, par exemple, a dû réformer son bureau municipal pour se conformer à la décision de la Cour d’Appel. Une situation impensable à Touba !

Serigne Mountakha bannit la politique à Touba de peu…

La commune de Touba Mosquée comptait, lors des dernières élections, 53 lieux de vote et 641 bureaux, pour 291 093 électeurs. Le Khalife avait décidé à ce que ces bureaux soient désormais hors de la ville. Un scenario qui est inenvisageable dans une autre contrée du pays. Et pourtant, les Baay Faal étaient prêts à exécuter la directive de Serigne Mountakha Mbacké. Le khalife général de la confrérie a pris une décision surprenante le 10 juin et qui ne sera pas sans conséquence.  « Si cette mesure vient à être appliquée, le taux de participation dans cette circonscription risque d’être très faible parce que beaucoup d’électeurs ne jugeront pas utile de se déplacer pour aller vers les nouveaux bureaux de vote qui seront installés certainement dans la périphérie du titre foncier de Touba. Les conséquences, c’est la faiblesse du taux de participation » analysait Babacar Fall du Gradec. Finalement, Serigne Mountakha a décidé, contre toute attente, de surseoir à cette décision, le temps de l’élection présidentielle du 25 février 2024. L’annonce a été faite par son porte-parole Serigne Bassirou Mbacké. Toutefois, la collecte de parrainage se fait dans la plus grande sobriété, par crainte de représailles des « Baay Faal », chargés de maintenir l’ordre dans la ville.

L’évolution du vote à Touba

C’est d’une manière on ne peut plus ubuesque que l’actuel maire de Touba, Abdou Lakhat Ka et son équipe municipale aient été portés à la tête de la mairie de Touba au soir du 23 janvier 2022. La commission électorale a, en effet, dénombré 38.414 bulletins blancs, soit 77,12% des voix exprimées. Ces résultats avaient fait du bruit car la population a donné l’impression d’avoir tourné le dos au choix du Khalife. Mais pour d’autres, il s’agit d’une manifestation de la défiance contre le régime de Macky Sall. La coalition présidentielle considérait le candidat Abdou Lakhat Ka désigné par le Khalife comme étant membre de BBY.  Aux yeux des électeurs de Touba, voter pour la liste du Khalife revenait à voter pour le parti au pouvoir. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, Macky Sall n’a jamais pu séduire l’électorat mouride. Lors du scrutin présidentiel de 2019, Idrissa Seck avait raflé la mise dans la région de Diourbel, avec 48,5% des suffrages contre 40,2 % pour Macky Sall. Pour les Législatives, le Parti démocratique Sénégalais continue de l’emporter. Durant donc tout le magistère du président Macky Sall, les populations de Touba ont voté pour l’opposition, ceux malgré les injonctions du Khalife.

Cette ville religieuse qui ne cesse de s’agrandir (entre 100.000 et 120.000 naissances déclarées par an) de par sa population demeure un enjeu majeur pour les hommes politiques.

Source : seneweb

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