Eclairage : Aly Khoudia Diaw, observateur de la scène politique : « C’est extrêmement difficile à réaliser dans le contexte actuel »

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« Le président de la République a juste émis un souhait, un vœu de faire passer son poulain, le Premier ministre Amadou Ba, au premier tour de l’élection présidentielle de 2024. Mais à mon avis, ce vœu est extrêmement difficile à réaliser dans le contexte actuel. D’abord, sur le plan social strictement sociologique, la perception des Sénégalais sur son état de fonctionnaire immensément riche pose problème. Sa fortune fait penser à un bradage des richesses nationales. Car, Amadou Ba est un fonctionnaire comme tous les autres fonctionnaires. Mais, on lui prête une supposée très grande fortune. Certains observateurs et camarades de partis disent même qu’il est immensément riche pour un fonctionnaire. Or, dans la mentalité sénégalaise, un fonctionnaire qui est riche est un fonctionnaire qui n’est pas honnête. Il lui sera très difficile de justifier sa fortune et de convaincre les gens. Car, tous les fonctionnaires qui ont pratiqué l’administration à des niveaux différents vous diront qu’on ne peut être riche à ce niveau.  Donc, sur le plan strictement humain, il n’inspire pas confiance à la grande masse de la population sénégalaise qui le perçoit comme un has been. Autrement dit, quelqu’un qui n’a pas un passé politique méritant. Il n’a milité dans aucun parti, il n’est connu pour être militant d’aucun parti. Il a joué avec les circonstances, il a joué avec les situations et les contextes. Le grand frère Ousmane Ngom parlerait de situationniste ».

Sa légitimité historique et politique contestée au sein de l’Apr et Benno

« Ensuite, sur le plan politique, il n’a pas de légitimité historique et politique au sein de l’Apr et de la Coalition Benno Bokk Yakaar. Il n’a gagné aucune élection à Dakar. Certains vous diront qu’il n’a pas été candidat mais cela compte peu de chose puisqu’il a été le Coordonnateur national, équivalent de Directeur de campagne de l’Apr et de la Coalition Benno Bokk Yakaar lors des dernières élections locales de janvier 2022. Mais, il n’a rien gagné, il n’a pas gagné Dakar, ni aux locales ni aux législatives. Il n’est pas connu pour être un grand politicien. Il n’est pas connu pour être quelqu’un qui sait mobiliser les foules.  Il a servi loyalement aux côtés du président de la République, on peut le concéder, mais ça ne suffit pas pour être président de la République. Il lui manque toutes ces petites choses qui peuvent faire chez les politiciens la grande différence. Toujours sur le plan politique, en plus de son handicap à Dakar qu’il n’a pas gagné ni aux locales ni aux législatives, il passe pour être impopulaire au sein du parti au pouvoir, l’Apr, tout simplement parce que la majeure partie de ses camarades ne sont pas d’accord avec le choix du président de la République. Donc, il est contesté ».

Le contexte économique et sociopolitique et le sentiment d’impunité

« Il y a aussi le contexte économique sénégalais actuel qui n’est pas favorable au gouvernement. Le bilan économique est catastrophique. La croissance économique exhibée à outrance n’a pas produit des effets sur la vie des Sénégalais dont le pouvoir d’achat est aujourd’hui fortement impacté par l’inflation et la conjoncture économique. Ensuite, il y a la question de l’immigration clandestine à laquelle le régime actuel peine à apporter une réponse sociologique. Il y a aussi l’analyse du contexte sociopolitique actuel qui montre clairement que les Sénégalais veulent tourner la page de l’oligarchie libérale qui, depuis le régime du président Abdoulaye Wade à nos jours, s’est enrichie sur le dos des citoyens sénégalais. Et ce, en dilapidant les ressources de l’Etat comme l’atteste d’ailleurs le rapport sur la gestion des fonds Covid-19. Il y a aussi tous les autres rapports des corps de contrôle de l’État comme la Cour des comptes, l’Armp. Tous ont épinglé cette oligarchie libérale là. Donc, c’est une volonté chez les Sénégalais de tourner la page libérale et de passer à autre chose. Donc, tout concourt à ce que le candidat Amadou Ba ne puisse pas passer, même la barre du premier tour ».

Emergence d’une nouvelle caste de jeunes politiciens aux dents extrêmement longues

« L’autre obstacle qui se dresse sur le chemin de la présidentielle du candidat Amadou Ba est cette nouvelle caste de jeunes politiciens aux dents extrêmement longues qui frappent à la porte. Car, dans le contexte mondial, africain et sénégalais, tout est favorable à ce que la jeunesse s’impose sur le landerneau politique. On le voit au Burkina Faso, au Ghana et même en Côte d’Ivoire et ailleurs. Au Sénégal, nous avons Ousmane Sonko. Cette jeunesse africaine est en train de revendiquer sa place, ce qui fait que tous les cinquantenaires et sexagénaires risquent véritablement de passer à côté ».

La tension politique qui alimente la frustration chez bon nombre de Sénégalais

« L’autre aspect à ne pas négliger, c’est la frustration chez bon nombre de Sénégalais. Le sentiment de haine, de division et de rancœur que beaucoup ont pour ce gouvernement à cause du sentiment de l’injustice qu’ils captent et attendent le moment venu pour donner la réponse politique adéquate. Je veux dire que tous ceux qui sont contre ce que fait ce gouvernement voteront contre le candidat Amadou Ba. La tension politique actuelle est extrêmement difficile et largement partagée par toutes les couches de la population. Il n’y a que les tenants du pouvoir qui ne constatent pas parce que simplement les lunettes qu’ils ont portées ne sont pas les bonnes. Quand vous êtes au pouvoir, vous lisez la réalité à partir de prismes déformés pendant que toute la population pense que cet état de fait n’est pas normal ».

Source : Sudquotidien

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