Le Pr Didier Raoult sera-t-il condamné à ne plus pouvoir exercer?
Le microbiologiste est attaqué devant l’Ordre des médecins et visé par une enquête de l’Agence nationale de sécurité du médicament.
Combien de médecins, combien de scientifiques français·es ont, comme le Pr Didier Raoult, été à ce point choyé·es par deux présidents de la République? Emmanuel Macron tout d’abord qui, en avril dernier et à la surprise générale, vint le rencontrer et le féliciter en son Institut marseillais. Nicolas Sarkozy ensuite qui, il y a quelques jours lors d’un forum des entrepreneurs organisé à Marseille, lui a tressé quelques solides couronnes de lauriers.
«À chaque crise, il faut trouver des boucs émissaires, a déclaré l’ancien chef de l’État. C’est une maladie française. L’adversaire, c’est le Covid, ce n’est pas tel ou tel médecin et je pense notamment au professeur Raoult. Je ne comprends pas pourquoi il y a tant de violence à son endroit. C’est un homme d’une grande qualité qui a fait son possible pour soigner au mieux ses patients, qui a sans doute fait des erreurs comme on en fait tous, moi le premier.»
Et Nicolas Sarkozy d’ajouter: «J’observe qu’en période de crise, il y a les pseudo-spécialistes qui se précipitent et qui disent du mal de quelqu’un. Il faut un coupable et c’est celui-là. Ça m’a paru déplacé. Je n’ai aucune compétence pour dire qui a raison et qui a tort. En tout cas, ce n’était pas le sujet. Chacun a fait comme il a pu, et lui le premier.» Hasard ou pas, ce soutien survient alors que le Pr Didier Raoult est la cible de deux actions visant certaines de ses déclarations, de ses accusations et de ses pratiques. La conséquence prévisible d’un comportement atypique dans une communauté régie par des règles de confraternité; comportement qui explique largement le soutien qu’il rencontre dans l’opinion publique mais aussi, paradoxalement, dans une fraction non négligeable du corps médical.
Une plainte devant le Conseil de l’Ordre des médecins
C’est la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) qui en est à l’origine; une plainte déposée devant le Conseil départemental de l’Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône. Sanctions potentiellement encourues: du simple avertissement à la radiation définitive. Forte de cinq cents adhérent·es, présidée pat le Pr Pierre Tattevin (CHU de Rennes), la Spilf est une société savante –une association loi 1901 «regroupant les professionnels de la santé intéressés par les maladies infectieuses et tropicales», spécialité qui concerne directement le Pr Didier Raoult, spécialiste de microbiologie.
Les infectiologues lui reprochent notamment d’avoir indûment promu l’hydroxychloroquine et enfreint sur plusieurs points le code de déontologie médicale, ainsi que l’a révélé Le Figaro. Selon l’argumentaire détaillé (six pages) joint à cette cette plainte, que Le Quotidien du Médecin s’est procurée, le Pr Didier Raoult a bafoué pas moins de neuf articles de ce code.
La société savante lui reproche en premier lieu d’avoir prescrit de façon délibérée de l’hydroxychloroquine «souvent associée à de l’azithromycine à des patients atteints de Covid-19 sans qu’aucune donnée acquise de la science ne soit clairement établie à ce sujet, et en infraction avec les recommandations des autorités de santé». Le Pr Raoult a déjà rappelé que le médecin était libre quant à la nature de ses prescriptions. Certes, observe la Spilf, mais le code de déontologie dispose qu’il doit le faire «dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science».
La plainte souligne aussi que, en vertu de l’article 14, «les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical». Et ce d’autant que les risques, notamment cardiaques, sont bien établis (150 cas d’atteinte cardiaque liées à l’hydroxychloroquine entre janvier et mai, dont 7 décès, selon l’Agence du médicament) –ce que conteste violemment le Pr Raoult.
Les infectiologues reprochent au Pr Raoult d’avoir indûment promu l’hydroxychloroquine et enfreint le code de déontologie médicale.
«Or, selon la Spilf citée par le Quotidien du Médecin, tant dans le milieu médical qu’auprès du grand public, le Pr Didier Raoult et son équipe ont “systématiquement affirmé l’efficacité du traitement proposé, sans preuve scientifique”.» Pis, l’argumentaire de la plainte considère que l’insistance à prendre publiquement position dans les médias pour défendre l’efficacité de l’hydroxychloroquine «contre l’avis des autorités de santé qui se sont prononcées selon les données acquises de la science, et contre les sociétés savantes concernées, pourrait relever du charlatanisme». Une accusation d’une particulière gravité.
L’article 13 du code dispose d’autre part que le médecin qui participe à une action d’information du public ne doit «faire état que de données confirmées», doit «faire preuve de prudence» et avoir le «souci des répercussions de ses propos auprès du public». Il doit aussi se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire. Or, selon la Spilf, le chercheur marseillais, «par son autopromotion répétée», n’aurait pas respecté cette interdiction.
Pire encore, ses positions ou affirmations tranchées dans les médias. En avril, il déclarait que «l’épidémie était en train de disparaître», en juin, que «la décision du confinement comme celle des masques dans la rue ne reposent pas sur des données scientifiques établies, claires et démontrables» ou encore, en mai, que «l’hydroxychloroquine est le traitement de référence pour les pneumathies». Le Pr Raoult aurait fait preuve d’imprudence et d’inconséquence des répercussions de ses propos et même de mépris de l’intérêt général.
Mais, souligne avec justesse Le Quotidien du Médecin, ce qui irrite sans doute le plus la société savante, c’est l’attitude jugée «anticonfraternelle» du Pr Raoult. Euphémisme. Ainsi, sur YouTube, le 8 avril dernier, le microbiologiste marseillais affirmait que les médecins qui ne prescrivaient pas son protocole à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine «sont fous» ou «ont fini d’être des médecins»