TIVAOUANE S’ILLUMINE AVEC »AL-BURDA » : RÉCIT D’UN MIRACLE ET HYMNE À LA FOI
Chaque année, au mois de Rabi Al-Awal, le Sénégal vit au rythme de la mémoire du Prophète Mohamed (PSL). Dans les villages comme dans les grandes villes, les mosquées s’illuminent, les foyers s’organisent et les rues résonnent de chants et de prières. Mais au cœur de cette ferveur se trouve Tivaouane, cité fondée par Seydi El Hadj Malick Sy (RTA), qui, depuis plus d’un siècle, a fait de la célébration du Gamou un rendez-vous spirituel majeur. Dix nuits avant la date sacrée du 12 Rabi Al-Awal, Tivaouane se pare de ses habits de lumière et fait vibrer les cœurs autour d’un poème qui a traversé les siècles : le Burd, ou Qasidat al-Burda.
Ce poème, considéré comme l’un des plus célèbres chants en l’honneur du Prophète, fut composé au XIIIᵉ siècle en Égypte par l’Imam Sharaf al-Din Al-Boussairi. Plus qu’un chef-d’œuvre littéraire, il est né d’une expérience intime, d’un moment de détresse et d’un miracle. Paralysé par une grave maladie, Al-Boussairi chercha refuge dans l’invocation et l’amour du Prophète Mohamed (PSL). De sa douleur jaillirent des vers d’une intensité rare, une longue ode qui mêle éloge, supplication et espoir. Un soir, épuisé, il s’endormit après avoir achevé son poème. En rêve, il vit le Prophète qui, avec tendresse, le couvrit de son manteau et passa sa main bénie sur lui. À son réveil, le miracle était accompli : il était guéri. C’est de cet épisode que le poème tira son nom : Al-Burda, « l’Ode du Manteau ».
Composé de plus de 160 vers répartis en dix chapitres, le Burd décrit un véritable itinéraire spirituel. Al-Boussairi y exprime la faiblesse de l’homme face à ses passions, la nécessité du repentir, l’exaltation des qualités du Prophète et l’espérance en son intercession. Il y évoque la grandeur de son modèle, sa miséricorde, sa lumière, son rôle d’intercesseur auprès de Dieu. Les images sont puissantes, les métaphores évocatrices, et chaque vers résonne comme une prière. Ce texte n’est pas seulement récité : il est médité, intériorisé, vécu comme une voie d’élévation de l’âme.
Depuis l’Égypte, le Burd s’est diffusé à travers tout le monde musulman. Au Maghreb, il fut adopté dans les mosquées et les confréries soufies, devenant un support privilégié pour l’éducation spirituelle. De là, il gagna l’Afrique de l’Ouest avec les caravanes de commerce, les érudits voyageurs et les maîtres soufis. Au Sénégal, c’est El Hadj Malick Sy qui lui donna une place centrale. Lui-même poète et auteur d’œuvres majeures comme Khilaçou Zahab ou Ifham al-Munkir al-Jani, il aurait pu placer ses propres textes au centre de la célébration. Mais par humilité et clairvoyance, il choisit le Burd, conscient de son universalité et de son pouvoir d’élévation.
À Tivaouane, il institua une pratique devenue tradition : la récitation du Burd pendant dix nuits, chaque soir un chapitre, jusqu’au Gamou. Un choix qui répond aussi à une sagesse : les savants de l’islam divergent sur la date exacte de la naissance du Prophète. En étalant la récitation sur dix jours, El Hadj Malick Sy s’assura que ses disciples n’en manqueraient jamais la commémoration, quelle que soit la date exacte.
Depuis lors, chaque année, à la tombée de la nuit, Tivaouane se transforme. Les fidèles convergent vers la grande mosquée et les daaras, vêtus de leurs plus beaux habits. L’air se charge d’encens et d’attente. Lorsqu’une voix s’élève pour entamer les premiers vers du Burd, le silence se fait. Le rythme est lent, solennel, parfois presque mélodieux. Peu à peu, les voix se joignent, et l’unisson enveloppe l’assemblée. Les jeunes répètent après les anciens, les talibés se mêlent aux érudits, les riches s’assoient aux côtés des pauvres. La mosquée devient un seul cœur battant, une seule voix qui s’élève vers le Prophète bien-aimé. Certains ferment les yeux, d’autres méditent, d’autres encore laissent les larmes couler. Dans ce moment suspendu, chacun se sent plus proche du Prophète, plus proche de Dieu.
Le Burd n’est pas seulement un poème récité. Il est une école spirituelle, un ciment social et un souffle d’unité. Les khalifes de Tivaouane l’ont toujours rappelé. Serigne Abdoul Aziz Sy, puis Serigne Babacar Sy Mansour, ont veillé à entretenir cette tradition, y ajoutant souvent des commentaires et des causeries pour aider les fidèles à mieux comprendre la profondeur des vers. Le Burd n’est pas destiné aux seuls savants, il parle à tous. Il enseigne la modestie, l’espérance et l’amour, valeurs qui transcendent les générations.
Aujourd’hui, le Burd ne se récite plus seulement à Tivaouane. Dans toutes les régions du Sénégal, et jusque dans la diaspora, il accompagne la préparation du Gamou. Dans les mosquées de Dakar comme dans celles de Paris ou de New York, les voix s’élèvent encore pour répéter les vers composés il y a plus de sept siècles. Ce poème, qui guérit jadis le corps d’Al-Boussairi, continue de guérir les âmes en offrant réconfort et lumière dans un monde souvent troublé.
Le Burd est devenu une mémoire vivante. Il rappelle que l’amour du Prophète (PSL) n’est pas une parole abstraite mais un chemin, une lumière qui traverse le temps et les frontières. Chaque vers récité est comme un fil reliant le fidèle à l’Imam Al-Boussairi, à El Hadj Malick Sy, aux générations de disciples qui, siècle après siècle, se sont assis pour chanter ce manteau de lumière.
Ainsi, lorsque la cité de Tivaouane s’illumine chaque année de la récitation du Burd, ce n’est pas seulement une tradition qui se perpétue, c’est une communion intemporelle qui s’opère. Dans ces dix nuits de ferveur, chaque fidèle se drape symboliquement du manteau prophétique qu’Al-Boussairi reçut en songe, et qui demeure, pour les croyants du monde entier, un manteau de paix, de miséricorde et d’espérance.
Seneweb
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