« C’est plus que catastrophique, il faut geler les recrutements des sages-femmes » : Bigué Bâ Mbodji tire la sonnette d’alarme

Les résultats de l’examen de certification des sages-femmes d’État, publiés récemment, ont révélé un échec retentissant : sur 2 200 candidates, seules 15 ont été déclarées admissibles, soit un taux de réussite quasi nul. En ce 6 août 2025, ce fiasco met en lumière une crise profonde dans la formation du personnel de santé maternelle au Sénégal. Dans cet entretien accordé à Seneweb, Bigué Bâ Mbodji, experte du secteur, dénonce les dysfonctionnements, partage les responsabilités et appelle à des réformes urgentes.

Les résultats de l’examen de certification des sages-femmes d’État sont jugés catastrophiques. Que retenez-vous de cette session ?

Les résultats sont plus que catastrophiques, je les qualifierais même d’inadmissibles. Sur 2 200 candidates, seules 15 ont été déclarées admissibles. Cela dépasse l’entendement. Ce n’est pas qu’un simple échec académique ; c’est un signal d’alarme sur la qualité de la formation et sur le niveau des professionnelles censées exercer dans nos structures de santé. Je crois que beaucoup ne réalisent pas encore la gravité de la situation.

À qui attribuez-vous la responsabilité d’un tel échec ?

Les responsabilités sont partagées. L’État, le ministère de la Santé, les institutions de formation, les enseignants, mais aussi les étudiantes elles-mêmes portent chacune une part de responsabilité. Sans oublier les associations professionnelles et les sages-femmes de terrain, qui encadrent les stages pratiques. C’est l’ensemble du système qui doit être entièrement repensé.

Vous parlez de suspendre la formation. Est-ce une fermeture définitive des écoles ?

Pas du tout. Quand je parle de fermer, je veux dire un gel temporaire des nouveaux recrutements. Il ne s’agit pas de pénaliser les promotions déjà en cours : celles-ci doivent être accompagnées jusqu’à leur terme, avec un renforcement significatif de la qualité de l’encadrement. Mais il est impératif de suspendre les nouvelles admissions pour prendre le temps d’évaluer sérieusement le système, de le réformer, et de redéfinir qui peut former, dans quelles conditions, avec quel encadrement et selon un curriculum harmonisé.

Que faudrait-il réformer précisément ?

Il y a beaucoup à faire. Il faut d’abord clarifier qui est autorisé à former, établir des cahiers des charges stricts pour l’ouverture des écoles, garantir un encadrement de qualité et exiger des laboratoires de compétences équipés adéquatement. Certaines écoles manquent cruellement d’infrastructures et de personnel qualifié. Dans certains cas, ce sont des étudiantes fraîchement diplômées qui se retrouvent monitrices, ce qui est totalement inacceptable.

Vous insistez aussi sur la nécessité d’un ordre professionnel. Pourquoi ?

Le Sénégal dispose depuis janvier 2017 d’une loi créant un ordre des sages-femmes et maïeuticiens, mais le décret d’application n’a jamais été signé. C’est une aberration. Cet ordre, en tant que démembrement de l’État, aurait pour rôle de superviser la formation, de réglementer la pratique et de protéger les usagers. Tant qu’il ne sera pas opérationnel, nous continuerons à avancer à l’aveugle.

Quelles sont, selon vous, les principales causes de l’échec ?

Les causes sont multiples et variées. Les étudiantes portent une part de responsabilité : manque d’investissement personnel et mauvaise préparation. Mais il faut aussi incriminer les enseignants mal formés, les écoles mal encadrées, l’absence de redevabilité envers les parents, les étudiantes et l’État. La formation étant payante, les familles investissent, et pourtant le niveau reste insuffisant pour répondre aux exigences du métier. C’est dramatique, car les sages-femmes prennent en charge la vie de plusieurs personnes à la fois : la mère, l’enfant, parfois des jumeaux ou des triplés.

Vous appelez à des assises nationales. Quel en serait l’objectif ?

Oui, j’appelle à l’organisation d’assises nationales sur la formation des sages-femmes. Il faut réunir tous les acteurs : ministère, écoles, formateurs, étudiants, professionnels de santé… Ces assises permettraient d’identifier les failles, de proposer des solutions concrètes et de construire un système cohérent, conforme aux normes internationales. Il est temps que le Sénégal forme des sages-femmes compétentes, reconnues et capables de rivaliser au niveau régional et international.

Un dernier mot ?

Nous ne pouvons plus nous permettre de faire semblant. Il s’agit de la vie des mères et des enfants, donc de la santé publique. Il faut agir maintenant, avec courage, lucidité et responsabilité.

 

Seneweb

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