VICTOR SIMUHEMBA DIATTA, LA VOIX ÉTOUFFÉE DE LA CASAMANCE

Dans les méandres de l’histoire sénégalaise, certains noms résonnent avec une intensité singulière. Celui de Victor Simuhemba Diatta, fils du département d’Oussouye, reste gravé comme une figure intellectuelle et militante qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s’était engagé corps et âme pour la défense de la Casamance. Professeur, ancien officier de l’armée française, patriote visionnaire : son destin brisé symbolise les débuts d’un long combat identitaire dans le sud du Sénégal.

Un enfant d’Oussouye au destin singulier

Né dans une famille influente de la Basse Casamance, Victor Simuhemba Diatta grandit dans une lignée de leadership. Son oncle, Benjamin Diatta, fut chef de canton durant plus de vingt ans et conseiller colonial respecté. Son cousin, Édouard Diatta, entrait dans le conseil général sur la liste de la SFIO. Mais Victor, lui, choisit une autre voie. Agrégé en lettres, professeur de français au parcours académique brillant, il avait également combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, y connaissant les geôles de l’Europe en tant que prisonnier de guerre.

Le combat politique et la fondation du MFDC

Le 4 mars 1947, dans la cité symbolique de Sédhiou, Victor Simuhemba Diatta participe à la fondation du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) aux côtés d’autres figures historiques comme Ibou Diallo et Émile Badiane. Majoritairement issus du corps enseignant, ces pionniers ont en commun la volonté de défendre les intérêts de leur région face à une centralisation croissante du pouvoir colonial et, bientôt, de l’État sénégalais naissant.

Pensé comme un mouvement idéologique, politique et pacifique, le MFDC prônait le respect des identités régionales, la justice sociale et la reconnaissance des spécificités culturelles de la Casamance. « La lutte pour la défense des intérêts de sa localité est un sacerdoce pour tout bon citoyen », disait-il. Cette phrase résonne encore, comme l’écho d’un engagement profond et sincère.

Une fin tragique, un silence lourd

Mais la trajectoire de cet intellectuel engagé est brutalement interrompue. Le 20 avril 1948, Victor Simuhemba Diatta est assassiné d’un coup de pistolet à la corniche de Dakar. Les circonstances restent mystérieuses. Aucune enquête concluante, aucun procès, aucun aveu. Son corps ne sera inhumé que plusieurs mois plus tard, sans autopsie, au cimetière de Bel-Air. L’un des fondateurs du MFDC, pourtant porteur d’une parole de justice et de dignité pour sa région, était ainsi arraché à la vie dans un silence glacial.

Héritage dévoyé

Au fil des décennies, le MFDC a connu une profonde transformation. D’un mouvement né dans les cercles intellectuels du Sud, porté par des enseignants et des patriotes républicains, il est progressivement devenu une rébellion armée dans les années 1980. Cette radicalisation, marquée par des affrontements armés, des divisions internes et des dérives, a souvent dénaturé l’essence même du projet initial, celui d’une revendication politique portée par la plume, la parole et le dialogue.

Aujourd’hui encore, la figure de Victor Simuhemba Diatta incarne l’audace, la lucidité et le courage d’un homme qui croyait en l’autonomie des peuples et à l’éveil des consciences. À l’heure où la Casamance continue de chercher la paix, son parcours invite à relire autrement l’histoire du Sénégal et à reconnaître la contribution des oubliés de la mémoire nationale.

 

RTS

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