CONTRIBUTION : Plaidoyer pour une orientation précoce et efficiente des diplômés de l’enseignement moyen et secondaire en Afrique Francophone : Cas du Sénégal
Vouloir, c’est pouvoir ! Mais comment vouloir sans savoir ?
Le baccalauréat est une étape majeure dans la vie scolaire des jeunes Sénégalais. Mais une fois ce graal en poche, se pose la question cruciale de l’orientation. Quelle filière choisir pour les études supérieures ? Quel métier exercer ?
En réalité, ce choix se prépare dès le collège. Dès la classe de 3ᵉ, les élèves doivent déjà réfléchir à la série qu’ils suivront après le BFEM. Si l’orientation en seconde dépend principalement des résultats scolaires, elle est aussi influencée par plusieurs facteurs : la famille, l’environnement social, les passions de l’élève, les secteurs porteurs, les réalités du marché du travail…
Or, dans un pays où plus de la moitié de la population est analphabète, il est rare de trouver dans l’entourage familial une personne capable de prodiguer des conseils éclairés. Même lorsque les parents ont été scolarisés, certains métiers ou filières restent méconnus. Le monde du travail évolue rapidement, avec l’émergence de nouveaux métiers, comme ceux liés à l’intelligence artificielle, ce qui complexifie davantage le choix.
Le défi majeur reste l’accès à l’information. Bien que des conseillers d’orientation soient théoriquement présents dans chaque académie, leur action est souvent mal connue et peu efficace.
Dans l’imaginaire collectif, les « bons élèves » sont orientés vers la série S (scientifique), tandis que la série L (littéraire) est perçue comme une voie de relégation. Combien de fois entend-on : « Série L, c’est pour les nullards » ? Résultat, les élèves doués en sciences s’orientent naturellement vers les séries S, socialement plus valorisées. Pourtant, avoir de bonnes notes en mathématiques ou en sciences ne garantit pas la réussite en bac S. Cette inadéquation explique peut-être en partie le faible taux de réussite au baccalauréat au Sénégal (47,62 % en 2025).
Comment justifier qu’un élève brillant en lettres, capable d’obtenir une mention « Très Bien » et de briller au Concours général, se retrouve en S2 avec une mention « Assez Bien », pour finalement exercer un métier accessible avec un bac L ?
Comment expliquer qu’un jeune, exclu du système scolaire mais doué en mécanique,
soit laissé sans perspectives ?
Dans mon cas, j’étais parmi les premiers de ma classe, avec d’excellentes notes dans toutes les matières. Il était hors de question pour moi d’opter pour « la série des nullards », malgré l’insistance de mes professeurs de Français et d’Anglais. Aujourd’hui, avec le recul, je réalise que si j’avais eu accès à une information claire sur les débouchés et les options, j’aurais sans doute choisi un bac L.
Ces idées reçues révèlent une méconnaissance des possibilités offertes par les filières littéraires. À l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, les facultés de droit et de lettres sont saturées. Pourtant, un bac L ne mène pas seulement à l’enseignement ou au journalisme, pas plus qu’un bac S ne conduit nécessairement à la médecine ou à l’ingénierie.
Si l’accès à l’information est difficile à Dakar, il l’est encore plus dans les autres régions du Sénégal. Les portails d’orientation existants peuvent constituer des ressources précieuses, mais leur consultation suppose un accès à Internet, qui n’est pas toujours garanti hors de la capitale. De plus, ces sites communiquent de l’information statique qui ne permet pas de guider l’élève dans ses choix.
Même constat pour les bacheliers partant étudier à l’étranger : absence de conseillers d’orientation à la direction des bourses, choix très souvent faits au hasard…
On cite souvent Napoléon Bonaparte : « Quand on veut, on peut ». Mais peut-on vouloir ce que l’on ne connaît pas ? Combien de bacheliers s’inscrivent en fac de droit ou sciences par défaut, sans projet professionnel précis ?
Pour vouloir, il faut d’abord savoir. Avoir toutes les clés en main pour un choix éclairé, construire un projet professionnel, identifier les métiers qui correspondent à ses aspirations dans le public, le privé, l’entreprenariat, l’international… Cependant, dans un pays où la famille pèse lourd dans les décisions, il est souvent plus facile de faire un choix de raison qu’un choix de cœur.
Qui n’a jamais vu un bon élève accumuler les redoublements à l’université ? Souvent, un mauvais choix d’orientation en est la cause.
Et que dire des personnes en situation de handicap ? Elles ont la volonté, mais les moyens ne sont pas mis en place par l’État pour leur permettre de poursuivre des études sereinement.
J’ai personnellement vécu une année en classes préparatoires PCSI (Physique- Chimie-Sciences de l’Ingénieur) à l’étranger, avant de réaliser que cette voie ne me correspondait pas. Heureusement, une rencontre m’a orientée vers une école de commerce. J’ai perdu une année, mais que serait devenu mon parcours sans cette intervention ?
Devons-nous continuer à accepter ces situations ?
Des initiatives récentes sont à saluer, comme la création de filières adaptées aux nouveaux métiers (aéronautique, industries pétrolières). Mais sont-elles réellement en phase avec les profils et les aspirations des élèves ?
Un aspect essentiel est négligé : expliquer concrètement le contenu des formations, leurs débouchés, et établir un lien clair entre les aspirations des jeunes et les filières disponibles. Il est urgent d’organiser dans tous les établissements des séances de « matching » pour les élèves de 3ᵉ et de terminale, afin de les aider à affiner leurs choix.
Ces séances doivent aussi servir à déconstruire les stéréotypes et à valoriser toutes les voies, car, aujourd’hui, nous avons besoin de diversité dans les métiers. Quelle que soit la filière, l’essentiel est de se fixer un objectif et de travailler pour l’atteindre.
L’école doit se réinventer pour répondre aux aspirations de la nouvelle génération et s’adapter aux métiers de demain, en vue d’offrir à la jeunesse des perspectives assez ouvertes d’employabilité. L’État doit décentraliser l’information, expliquer les réformes et les nouvelles orientations, afin que chaque élève puisse faire un choix en ayant toutes les cartes en main.
Les mentalités doivent évoluer : les associations de parents d’élèves peuvent être des
relais pour lutter contre cette dichotomie entre les séries.
Le système éducatif doit avoir plus de souplesse : renforcer la présence de conseillers d’orientation, développer les baccalauréats professionnels et les formations en alternance, encourager l’entreprenariat avec l’appui d’organismes comme la DER, faciliter les réorientations, organiser des portes ouvertes et des salons de l’étudiant décentralisés…
Un mauvais choix d’orientation peut coûter une carrière. Agissons afin que chaque talent trouve sa voie.
RTS
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