L’histoire commence en 1970 avec la création du Comité sénégalais des Droits de l’Homme (CSDH). À l’époque, la priorité est la sensibilisation du public et l’animation de moments forts du calendrier onusien. Un premier virage intervient le 26 février 1997, lorsque le Parlement adopte une loi, promulguée le 10 mars, qui réorganise le CSDH et lui confère un statut d’institution indépendante et pluraliste. Cette étape marque l’entrée du Sénégal dans une logique de promotion et de protection structurée des droits humains, avec un dialogue institutionnalisé entre pouvoirs publics et société civile.
Le défi se corse en 2012, lorsque le pays perd le “statut A” d’accréditation internationale, sanction d’un décalage entre les bonnes intentions et les exigences opérationnelles fixées par les Principes de Paris. S’ouvre alors une séquence de remise à niveau, qui culmine le 9 septembre 2024 : l’Assemblée nationale adopte à l’unanimité le texte créant la Commission nationale des Droits de l’Homme, appelée à remplacer le CSDH.
Le tournant de 2024 : une autorité administrative indépendante
La loi n° 2024-14 du 18 septembre 2024 érige la CNDH en autorité administrative indépendante, dotée d’une autonomie administrative et financière. Elle clarifie les règles de nomination, consolide les garanties d’indépendance et organise le pluralisme de la composition, conformément aux standards internationaux. L’arrêté n° 032321 du 12 décembre 2024 vient préciser les modalités d’application, afin d’assurer un fonctionnement effectif sur tout le territoire, notamment à travers des antennes régionales.
Ce cadre renouvelé répond à une ambition claire : permettre au Sénégal de retrouver le statut A et de faire entendre sa voix dans les enceintes internationales des droits humains, tout en renforçant, au niveau interne, l’efficacité de la prévention, de la protection et de la promotion des droits fondamentaux.
Les Principes de Paris comme boussole
Adoptés par l’ONU en 1992, les Principes de Paris définissent ce qu’une institution nationale doit garantir pour être crédible : indépendance réelle, pluralisme, mandat étendu et moyens suffisants. Ils tracent un cap précis. La CNDH doit conseiller le gouvernement et le Parlement, surveiller et documenter les violations, promouvoir une culture des droits humains, harmoniser le droit interne avec les conventions internationales ratifiées, coopérer avec les mécanismes onusiens et régionaux et rendre publics ses avis et rapports. Elle doit aussi pouvoir s’autosaisir, se doter de groupes de travail, accéder aux informations utiles et entretenir des liens suivis avec les autorités de médiation et la société civile. Certaines institutions de ce type reçoivent en outre des compétences quasi juridictionnelles de conciliation et de recommandation à l’égard des autorités ; le cadre sénégalais fait de la CNDH un espace de recours, d’orientation et de médiation, au service des personnes et des organisations.
Un mandat aujourd’hui clarifié et élargi
La CNDH agit selon trois verbes clés : prévenir, protéger, promouvoir. Elle prévient en contribuant à des lois et politiques publiques mieux alignées sur les normes internationales, afin d’anticiper les risques d’atteintes aux libertés. Elle protège en documentant les violations, en alertant publiquement, en interpellant les autorités et en proposant des correctifs. Elle promeut en éduquant aux droits humains, de l’école à l’université, des administrations aux médias, et en diffusant une culture de l’égalité et de la non-discrimination. À ces missions s’ajoute la contribution aux rapports que l’État adresse aux mécanismes onusiens et africains, levier essentiel pour la réputation et la crédibilité du Sénégal.
Une présidence incarnée
Par le décret n° 2025-581 du 28 mars 2025, la professeure Amsatou Sow Sidibé est nommée présidente de la CNDH pour un mandat unique de six ans. Juriste de référence et spécialiste des droits humains, elle porte la mise en œuvre de l’ambition réaffirmée en 2024 : faire vivre l’indépendance, garantir le pluralisme, densifier les coopérations avec la société civile et les institutions, et doter les antennes régionales de moyens à la hauteur des attentes des citoyens.
Pourquoi la CNDH compte pour chacun de nous
L’utilité se mesure d’abord au niveau des personnes. La CNDH est une porte d’entrée fiable pour signaler des atteintes et obtenir écoute, orientation, médiation. Qu’il s’agisse de libertés publiques, de garde à vue et de conditions de détention, de discriminations, de violences basées sur le genre, des droits des enfants, des personnes handicapées ou des migrants, l’institution sert de filet de sécurité, de vigie et de relais.
Elle compte ensuite pour l’État, auquel elle apporte un conseil indépendant. En amont, elle améliore la qualité normative et réduit les contentieux potentiels. En aval, elle renforce la capacité du Sénégal à honorer ses engagements internationaux, ce qui pèse dans sa diplomatie, sa coopération et son attractivité. Enfin, elle compte pour la cohésion sociale : en installant le dialogue et la pédagogie des droits, elle désamorce des tensions et favorise des solutions pacifiques et durables.
Comment l’institution agit au quotidien
La CNDH peut être saisie par des particuliers, des associations ou des institutions. Elle peut aussi s’autosaisir. Elle mène des auditions, rassemble des informations, conduit des missions d’observation, produit des avis publics et des rapports thématiques. Elle formule des recommandations aux autorités, qu’il s’agisse d’ajuster des pratiques, de modifier des textes ou de renforcer des garanties. Elle participe à l’élaboration et à la diffusion d’outils pédagogiques et développe des partenariats avec les écoles, les universités, les administrations, les professions de justice, les forces de défense et de sécurité et les médias.
Ce qui change avec l’indépendance consolidée
Le passage d’un comité à une autorité indépendante n’est pas qu’un changement d’étiquette. Il se traduit par des garanties renforcées de nomination, de pluralisme, de transparence et de moyens, ainsi que par une capacité accrue de se déployer hors de Dakar. L’objectif est double : faire mieux remonter les situations de terrain et augmenter l’impact concret des recommandations. La publicité des avis et des rapports, la régularité des réunions et la coopération avec les mécanismes internationaux constituent, à cet égard, des garde-fous essentiels.
La CNDH n’est pas un simple observatoire. C’est une institution d’initiative qui éclaire, alerte, propose et relie. Elle relie les citoyens à leurs droits, les autorités à leurs obligations et le Sénégal à ses engagements internationaux. Sa montée en puissance, engagée par la loi de 2024 et portée par une présidence dotée d’un mandat stable, n’est pas une affaire de spécialistes : c’est un investissement démocratique qui améliore, très concrètement, la vie publique et la protection de chacun.
RTS
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