Les débats judiciaires récents ont remis sur le devant de la scène deux articles du Code pénal sénégalais souvent confondus : l’article 80, relatif à l’atteinte à la sûreté de l’État, et l’article 254, qui punit l’offense au Président de la République. Dans les médias comme dans les commentaires politiques, cette confusion est récurrente, pourtant les deux dispositions répondent à des logiques juridiques radicalement différentes.
Deux infractions, deux cadres juridiques distincts
Contrairement à une idée répandue, l’article 80 du Code pénal ne vise pas l’offense au chef de l’État. Il concerne des faits beaucoup plus graves liés à la sécurité nationale. Ce texte réprime « les manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves ». Autrement dit, il s’agit de sanctionner des comportements susceptibles de porter atteinte à l’ordre républicain dans ses fondements.
L’article 254, en revanche, s’applique lorsqu’une personne offense publiquement le Président de la République, par des écrits, des propos, des images ou tout autre moyen d’expression publique. Cette infraction est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et/ou d’une amende pouvant atteindre 1,5 million de francs CFA.
L’article 254 : encadrer l’expression publique
Le délit d’offense au chef de l’État tel que défini par l’article 254 s’inscrit dans une volonté de protéger la dignité de la fonction présidentielle. Cette protection s’applique également à toute personne exerçant, même temporairement, les prérogatives du Président.


Il ne s’agit pas ici de réprimer toute critique politique, mais de poser des limites aux formes d’expression jugées injurieuses ou irrespectueuses dans l’espace public. C’est une infraction qualifiée parfois de symbolique, car elle touche à la représentation de l’autorité suprême de l’État.
L’article 80 : protéger la stabilité de l’État
De son côté, l’article 80 occupe une place beaucoup plus sensible dans l’architecture pénale. Il est mobilisé dans des situations exceptionnelles, comme celles impliquant des appels à l’insurrection, des troubles à l’ordre constitutionnel ou des tentatives de subversion. Les peines encourues sont lourdes – de trois à cinq ans de prison – et peuvent s’accompagner de mesures procédurales renforcées, comme le mandat de dépôt automatique si le procureur le requiert.


Ce texte est parfois perçu comme un instrument de répression politique, notamment lorsqu’il est appliqué à des faits de contestation ou d’activisme. C’est pourquoi des voix plaident pour une réforme visant à clarifier et encadrer davantage ses conditions d’application.
L’importance de nommer les choses correctement
Dans l’espace public, confondre l’offense au Président avec l’atteinte à la sûreté de l’État est une erreur juridique aux conséquences importantes. Cette confusion peut nourrir des interprétations abusives du droit, détourner l’attention de la nature réelle des faits poursuivis et affaiblir la confiance des citoyens envers la justice.
La distinction est pourtant claire : l’article 254 protège la personne du Président contre l’offense, tandis que l’article 80 protège l’État contre les menaces graves à son intégrité. Les peines ne sont pas les mêmes, les procédures sont différentes, et les enjeux politiques aussi.
Vers une meilleure intelligibilité de la loi
Dans un État de droit, la clarté et l’accessibilité des normes juridiques sont fondamentales. La bonne compréhension du droit par tous, citoyens comme professionnels, est un gage de transparence et de justice. C’est aussi une condition essentielle pour que chacun puisse exercer librement ses droits, en connaissance des limites posées par la loi.
RTS
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